Si vous êtes venus voir Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? dernièrement au théâtre, vous l’aurez très certainement aperçue ! Nous parlons bien de Colette, célèbre romancière de la première moitié du XXème siècle. Elle a été une intime d’Arletty,  et a, elle aussi, su faire ses preuves au Théâtre Michel.

L’une des œuvres majeures de Colette, c’est le roman Chéri, publié en 1920. On le connaît aussi grâce à son adaptation cinématographique de 1950. Mais avant cela, le roman a été adapté au théâtre… Michel ! Colette disait d’ailleurs que son roman avait d’abord été pensé pour le théâtre, comme une pièce. L’histoire regroupe en effet quelques particularités du vaudeville : une femme et son amant, des jeux cruels de tromperie, un amour impossible… Le décor lui aussi s’y prête : un salon de vie semi-mondaine, la chambre et le lit de Léa…

Résumé de la pièce :

Léa de Lonval est une ancienne courtisane bien installée dans son hôtel particulier. Elle a un amant, Fred Peloux qu’elle surnomme Chéri, beaucoup plus jeune qu’elle, plein de frivolité. Il a vingt-cinq ans, elle en a le double. La mère de Chéri, Madame Peloux, trame de le marier avec Edmée, une jeune fille de son âge. S’en suit alors toute la peine de la rupture entre Léa et lui, qu’elle considère comme son dernier amour, faisant face à son propre vieillissement. Chéri quant à lui, éprouve des regrets une fois marié…

Cette adaptation théâtrale est née de l’amitié entre Colette et Léopold Marchand, qui collaborent tous deux pour en faire une comédie en quatre actes, en 1921. Pour la centième représentation le 26 février 1922, c’est Colette elle-même qui monte sur les planches pour interpréter le rôle de Léa.

Cette œuvre, qui traite de l’amour dans la différence d’âge, est assez novatrice pour l’époque. Colette développe une question : la vieillesse est-elle compatible avec l’amour ? Ce n’est pas un homme qui séduit une jeune femme, c’est une femme qui séduit un homme plus jeune, un cas de figure que l’on a pas l’habitude de voir. C’est une relation vue comme quasi incestueuse, Chéri pouvant voir une mère en Léa. 

La collaboration entre Colette et le Théâtre Michel ne s’est pas arrêtée là

En 1941, le directeur du théâtre Robert Trébor fait appel à elle et Raymond Souplex, célèbre chansonnier, pour faire la Revue du Théâtre Michel.

Colette et le chansonnier Raymond Souplex en 1941

Petite piqûre de rappel : une revue est un genre théâtral qui regroupe des sketches, de la musique, de la danse, en vue de créer une certaine satire de l’actualité et de l’Histoire. Elle n’a pas de récit, mais un thème pour fil conducteur, un enchaînement de plusieurs sketches parodiques. Le public visé est plus aisé que les simples comédies burlesques. Elle se compose généralement de deux actes, dont chacun comporte un prologue et un final.

Cette Revue du Michel, jouée pour la première fois le 19 septembre 1941, avait de talentueuses têtes d’affiche : Yvonne de Bray en Madame de Pompadour, Parisys en Claudine (célèbre personnage littéraire de Colette), les chanteurs Charpini et Maurice Chevalier, ou encore Colette Brosset.

La revue se composait ainsi : un prologue, avec la revue “des Michel”, famille nombreuse et notoire, de la mère Michel à Michel-Ange, en passant par Michel Molitor et Michel Simon. Puis une scène historique classique, ici sur la marquise de Pompadour, maîtresse du roi Louis XV. Parisys fut d’ailleurs remarquée pour avoir laissé dépasser son sein pour se moquer de cette dernière. Ensuite, une scène de dîner dans un ménage bourgeois, où la maîtresse de maison avoue à ses invités que le lapin qu’ils viennent de déguster a été volé dans le clapier du châtelain voisin, qui élève des lapins atteints d’horribles maladies. On voit aussi Charpini déguisé en coquette fumeuse qui tente de séduire un ramasseur de mégots… Autant de situations comiques et parodiques que les comédiens prennent plaisir à incarner.

Une réception mitigée

« Pour tout le monde, avant même qu’elle ne parût à la scène, la Revue du Michel, c’était ‘la revue de Colette’ »

Je suis partout, journal du 27 septembre 1941.

La revue reçut des critiques mitigées. Chacun attendait les potentielles innovations littéraires que l’auteure de Chéri allait introduire dans la formule traditionnelle de la revue. Mais ce ne fut pas le cas, elle et Souplex sont restés dans un schéma très classique. La revue a ses lois et ils n’ont pas voulu les transgresser. La presse avait beaucoup d’attente vis-à-vis de cette collaboration alléchante et a été déçue du résultat. Les comédiens, eux, furent salués, notamment Charpini pour sa fantaisie.


Léopold Marchand, ami de Colette, adapte un autre de ses romans en 1923, La Vagabonde, au Théâtre de la Renaissance. L’adaptation de Chéri quant à elle, sera reprise plusieurs fois : au Théâtre de la Madeleine en 1949 avec Jean Marais et Valentine Tessier, puis en 1982 au Théâtre des Variétés, avec Michèle Morgan et Jean-Pierre Bouvier.

Colette, Valentine Tessier et Jean Marais

Else Delaisse, Théâtre Michel